Les monothéismes
Peut-on comparer les monothéismes? Le Dieu évoqué par
Daniel Sibony, le Dieu des limites et de la faille, dépend
beaucoup de ce qu'on en dit, son statut
d'être se trouve relié à notre mouvement vers Lui.
Daniel Sibony élabore une œuvre très personnelle, aux
confins entre la psychanalyse et la métaphysique. La «comparaison» entre les
différents monothéismes constitue une part non négligeable de son abondante
production*... avec une « préférence» non cachée pour le judaïsme. La question
du religieux revient encore ici à celle de l'originaire : comment
s'approcher au plus près de l'être et
tolérer en même temps d'être dessaisi de l'origine?
«Les juifs ont reçu en
"cadeau" la faille identitaire, la cassure de soi avec soi,
l'imperfection, la balafre de plein fouet (...)
Les chrétiens, eux, ont reçu la médiation, l'homme dieu donnant la
mesure de l'écart entre homme et Dieu. (...)
Les musulmans ont reçu la perfection, l'apaisement de la cassure identitaire -
apaisée et comblée par la "soumission"; par l'identité globale où
l'autre fait problème... »
Pensée aiguë, injuste : difficile
de ne pas être partial quand on «compare
», avec une tendance à distribuer des bons points, les différentes manières de
se tenir dans le rapport avec l'être, mettant en lumière ceux qui auraient
failli dans cette nécessaire dépossession d'avec l'origine.
Le plus important n'est pas là : il est dans ce désir de
penser Dieu avec, comme saint Thomas, les outils de la rationalité de l'époque,
c'est-à-dire la philosophie et la psychanalyse. Dieu est, selon Sibony, d'abord
un lieu théorique, lieu de nos états-limites au sens de ce «qui relève du trauma, de l'émotion (amour, angoisse...), où s'exprime
une faille de nos liens à nous-mêmes et à l'Autre. (...) Une faille radicale où
la vie se renouvelle: où quand "ça passe", c'est "divin",
souffle inspirant, etc. ; et quand "ça casse'; c'est l'angoisse, la peur
"d'enfer'; la fureur d'être?... Dieu, rapport extrême aux fractures de
nos vies?» Dieu hyperconceptuel et pourtant Dieu qu'on appelle dans les
moments de déchirure, alors que l'on ne se lamente pas pour invoquer son propre
inconscient. Dieu qui est auto-révélation de
Mais ce Dieu des limites et de la faille dépend beaucoup de
ce qu'on en dit, son statut d'être se trouve relié à notre mouvement vers Lui.
Mais où donc était ainsi Dieu pendant Auschwitz, en ce XXe siècle où la foi
déclinait? N'était-il pas au cœur de la faille béante de
*Les Trois Monothéismes, Seuil, 1992, et Nom de Dieu, Seuil, 2002.