- En tant que croyant chrétien
vous adhérez à ce qu’enseigne la Bible...
- La coexistence de deux discours ne vous gêne pas
en tant que scientifique ?
- Ne trouvez-vous pas que le débat « Dieu contre Darwin », sent le
piège manichéen ?
- Si ça se faisait vraiment par hasard, cette orchidée aurait eu besoin de
milliards de fois plus de temps ?
- Boris Cyrulnik dit que les idées de Lamarck ont plutôt tendance à remonter
actuellement...
- Ce qui n’empêche pas que Darwin était génial
- Votre pessimisme ne vient-il pas du fait que vous
êtes aussi un écologiste ?
- La biologie moléculaire n’a pas fait sa
« révolution copernicienne »
- Iriez-vous jusqu’à dire que « l’amour » est ce qui fait avancer le
monde ?
- J’ai du mal à comprendre que l’on soit scientifique et athée.
Scientifique et croyant, lecteur de
Nouvelles
Clés : En tant que croyant chrétien vous adhérez à ce qu’enseigne
Jean-Marie
Pelt : Oui, mais là, je m’empresse tout de suite de dégoupiller la
grenade que vous me lancez, quant à la manière dont on lit
N.C. : Une Françoise Dolto
aurait été d’accord avec vous, elle qui, dans son Évangile au risque de la
psychanalyse, suggère que
J-M. P. : En tant que lecteur
moderne de l’Écriture, je reçois le Livre de
Cela dit, attention,
le créationnisme est une tentation venue d’Amérique, qui risque vraiment de
nous tomber dessus un de ces jours. Nous assistons en effet partout, à une très
inquiétante montée des intégrismes. Or, l’intégrisme, c’est ce qui fait les
guerres, c’est ce qui empêche de dialoguer, c’est ce qui empêche d’être curieux
de ce que pense l’autre, alors que l’autre détient toujours une part de vérité.
Si ce n’était pas le cas, nous ne serions pas bio- et ethno-divers, et nous ne
serions donc pas humains. Je suis bien sûr tout à fait opposé au courant
intégriste. Je pense que l’écoute et l’ouverture sont les premières valeurs à
mettre en œuvre si nous ne voulons pas nous retrouver dans des confrontations
brutales, peut-être guerrières, ne serait-ce qu’avec les musulmans, travaillés
par les islamistes - qui, soit dit en passant, devraient, eux aussi,
redescendre vers plus d’ouverture. Je pense que, fondamentalement, l’ouverture
appelle l’ouverture, et que la fermeture appelle la fermeture. J’adhère à ce
que me dit l’homme de l’évangile, à ses récits, dont je reçois la substantifique
moelle, dans l’ouverture à l’autre.
N.C. : Et cette coexistence
de deux discours ne vous gêne pas en tant que scientifique ?
J-M. P. : Mais pas du
tout ! En tant que scientifique, mes collègues m’ont toujours dit que
j’avais un défaut, c’est d’être pinailleur. Comme directeur de thèses, par
exemple, je suis terriblement pointilleux, avec une image que le grand public
ne connaît pas. Si tout n’est pas précisé, détaillé, référencé, je renvoie le
malheureux thésard au charbon ! Je crois que je suis un vrai scientifique.
J’insiste sur ce point parce que nous vivons à une époque de grande confusion,
où des tas de gens s’imaginent qu’on ne peut pas être scientifique et croyant à
la fois. Alors que ce sont des domaines totalement distincts. La science doit
nous permettre de mieux comprendre comment la nature fonctionne, comment ça
marche, quelles sont les interrelations entre l’ensemble des êtres vivants,
indépendamment de toute croyance. Ma foi, elle, répond aux questions ultimes,
aux causes premières et aux fins dernières, sur lesquelles la science n’a pas
de discours à tenir - et elle n’en tient d’ailleurs pas. Je crois que si, de
nos jours, neuf personnes sur dix sont paumées, c’est parce que cette réflexion
n’a pas pénétré les opinions. Beaucoup de gens n’y comprennent plus rien. Ils
ne savent plus s’il faut croire ce que disent les scientifiques ou ce que
disent les curés. Les curés n’ont pas suffisamment fait la révolution
copernicienne qui consiste à s’exprimer comme je le fais - je parle de la base,
de ce qui est enseigné aux enfants, pas des élites de la théologie. Quant aux
scientifiques, ils pensent qu’en dehors de l’objet de leur science, il n’existe
rien, comme si le matérialisme était dans la nature des choses et que tout
autre vision du monde était obscurantiste et dépassée. Personnellement, je
navigue à l’aise entre ces deux pôles. J’appartiens aux deux.
N.C. : Concernant les
créationnistes et les darwiniens, ne trouvez-vous pas que le débat « Dieu
contre Darwin », régulièrement relayé par les médias, sent le piège
manichéen ? Ou vous êtes matérialiste athée, ou vous appartenez au camp
des demeurés, pas d’autre choix !
J-M. P. : C’est ce que
j’appelle un débat tronqué. D’abord il y a d’innombrables variétés de
créationnistes. Des purs et durs, avec création en six jours et repos le
septième. D’autres qui disent que ça a duré plus longtemps, chaque journée
représentant un siècle, ou un millénaire... D’autres recherchent l’interface
entre les règnes et les anges. Et ainsi de suite, jusqu’aux adeptes du fameux
mouvement du « Dessin intelligent », dont on a beaucoup parlé. En
face, les darwiniens nous posent un problème de pure linguistique. Car dans le
darwinisme, on met à la fois l’idée d’évolution et les processus par lesquels
Darwin explique celle-ci. Deux choses sous un même mot : 1°) le fait de
l’évolution, auquel il est raisonnable d’adhérer et auquel j’adhère évidemment
- même si des questions se posent (il y a toujours des questions qui se
posent) ; 2°) les mécanismes de l’évolution, ce qui est tout à fait autre
chose : comment ça marche ? Quand on dit « darwinisme », on
vend à la fois l’évolution et le modèle d’explication. Or, sur les mécanismes
de l’évolution, je ne suis pas du tout convaincu que ça se passe comme le
pensent les darwiniens, par mutations aléatoires triées par sélection
naturelle. Je crois que ça n’est qu’une partie de l’explication. Il ne me
viendrait pas à l’idée de dire que la « sélection du plus apte » soit
une idiotie. Mais à côté de ce mécanisme, il y a certainement d’autres
mécanismes. Par exemple le mimétisme, qui pourrait correspondre à certaines des
hypothèses du Britannique Rupert Sheldrake, que l’on devrait creuser. En tant
que botaniste, je suis par exemple confronté à des phénomènes de mimétisme
époustouflants quand une orchidée se déguise en insecte, prend le parfum de
l’insecte, dispose ses poils comme ceux de la femelle de l’insecte, pour
attirer l’insecte mâle, qui se trouve irrésistiblement attiré, se pose,
s’agite, copule et embarque le pollen pour le déposer sur une autre orchidée
qui se trouvé ainsi fécondée. Supposer que ce leurre soit apparu par le jeu du
hasard ne colle évidemment pas.
N.C. : Si ça se faisait
vraiment par hasard, cette orchidée aurait eu besoin de milliards de fois plus
de temps ?
J-M. P. : Il aurait surtout
fallu que l’idée finale soit là à l’avance, pour que les variations aillent
dans le bon sens. Il aurait fallu que l’orchidée, avec ses six pétales, ait un
« projet » qui se projette dans un temps lointain, pour qu’elle
sélectionne les mutations qui lui permettront d’aller là-bas. Mais alors, ce ne
serait plus du hasard. Donc, le modèle darwinien sur les orchidées mimétiques
ne marche pas. Je le retourne dans tous les sens, ça ne marche pas.
Ensuite, il y a ce
qu’a dit le vieux Lamarck, que le jeune Darwin a détrôné. Lamarck pensait que
si les girafes ont de longs cous, c’est que leurs ancêtres ont beaucoup tiré
dessus, pour pouvoir manger des feuillages haut perchés. Darwin a inversé la
logique : le long cou, aléatoirement survenu, a donné un avantage aux
girafes qui, par hasard, se trouvaient vivre près de feuillages haut perchés.
Est-ce que l’on doit brûler Lamarck ? Est-ce qu’il a tout faux ? Je
n’en suis pas sûr.
N.C. : Boris Cyrulnik dit
que les idées de Lamarck ont plutôt tendance à remonter actuellement...
J-M. P. : Il a raison. Il y a
chez Lamarck une part de vérité, si bien qu’on pourrait dire que le père du
transformisme, c’est lui. Mais on peut remonter plus loin. J’étais hier au
tricentenaire de Buffon : déjà à son époque, donc avant
N.C. : Ce qui n’empêche pas
que Darwin était génial.
J-M. P. : Certes, et il
n’était pas du genre à observer le catéchisme d’une stricte observance !
Tout au long de sa vie, il n’a cessé de se poser des questions sur son modèle.
Alors que les darwiniens purs et durs ne doutent de rien. Ils vous parlent de
la sélection naturelle comme d’une certitude. Ça ressemble parfois à de
l’intégrisme... Les vrais chercheurs scientifiques, voyez-vous, ne fonctionnent
pas comme ça. Tout ce que nous venons de dire relève de la logique du cerveau
gauche, qui nous pousse aux limites de nos déductions, ou de nos inductions. Je
pense, comme le professeur Lucien Israël, que pour mener à bien une spéculation,
il faut aussi laisser travailler l’hémisphère droit, qui est celui de
l’intuition, des affects, de la sensibilité. L’intuition joue un rôle essentiel
en science. Je suis frappé et inquiet de voir combien, aujourd’hui, poussés par
la nécessité d’avoir des résultats rapides, de publier vite, beaucoup de
scientifiques finissent par avoir une approche mécanique de la biologie
moléculaire. Ils font tous à peu près la même chose que leurs collègues, ils
sont juste sur une autre enzyme, un autre morceau d’ADN, mais les techniques,
les modes de raisonnement et finalement les visions sont les mêmes. Et c’est la
raison pour laquelle, à mon avis, la biologie moléculaire n’avance pas vite.
Elle n’a pas fait sa révolution copernicienne !
N.C. : Que voulez-vous
dire ?
J-M. P. : En particulier,
qu’elle n’a pas pris en compte l’aspect vibratoire des molécules, ce qui est
incroyable. Elle est en contradiction complète avec la physique quantique, et
prodigieusement en retard. Un retard qu’elle ne comble pas, parce qu’elle a une
vision mécaniste. Je le vois bien chez de jeunes chercheurs. Parfois, je me dis
qu’il faudrait leur rappeler que, dans son petit appartement de Trinity
College, le grand Newton avait des transes ! Les fameuses lois de la
science moderne, il ne les a pas élaborées par des raisonnements déductifs,
mais par des intuitions extrêmement fortes, qu’il avait quand il se trouvait
dans un état second. Les états seconds peuvent être extrêmement productifs pour
la créativité humaine. Einstein aussi a raconté que, quand il a eu l’idée de la
relativité, ce fut par une sorte de révélation, où il a vu des images colorées
s’imposer à lui comme si elles lui étaient données. Pourquoi ? Parce que
son intuition était réceptive. La créativité en sciences, ce n’est pas seulement
de faire comme tout le monde, pour avoir des crédits et un public. Il s’agit de
faire fonctionner, ou plutôt de laisser fonctionner les deux parts de son
cerveau.
Reprenons Darwin un
instant. À la fin de sa vie, il avait deux soucis. Le premier, c’est d’avoir
fait tant de peine à sa femme, en affirmant que Dieu n’existait pas - ça lui
faisait de la peine à lui aussi, mais il n’y pouvait rien, c’était comme
ça ! Et son deuxième souci, c’est qu’il était devenu sec comme un désert,
ne comprenant plus rien à l’art, à la poésie, à la musique, à rien de ce qui
est véhiculé par l’hémisphère droit. Il s’était complètement gauchisé dans son
cerveau. Et moi, je regrette terriblement que la science actuelle soit devenue
comme ça. Nous avons désormais une science mécaniste, qui ne repose plus que
sur l’hémisphère gauche. Et l’hémisphère gauche, il sait surtout reproduire des
systèmes simples, compter, numériser, classer... Or, quand ce type de
fonctionnement s’empare, par exemple, de l’ADN, ça donne la logique des OGM. Je
repère un gène, je l’isole, je vérifie ce qu’il contient comme informations, je
le place ailleurs, pour obtenir un certain résultat. Manque de bol, ça ne
marche plus. Il a perdu, dans un autre génome, les propriétés qu’il avait dans
le génome d’origine. Parce que le nouveau génome a des caractères qui
l’annihilent. Ou parce qu’il faudrait mettre trois gènes, et non un seul. Bref
parce que la vie est tout à fait compliquée et que ça ne marche absolument pas
comme ça.
L’approche purement
mécaniste produit la technologie que nous voyons. Je suis en vive réaction
contre ce qu’on appelle aujourd’hui la techno-science, dont je ne suis pas sûr
qu’elle va libérer l’homme. Je pense au contraire, qu’elle va l’asservir et que
nous allons devenir des robots ! J’ai l’air de rire, mais c’est
tragiquement ce que je pense.
N.C. : Votre pessimisme ne vient-il pas du fait que vous êtes aussi un écologiste ?
J-M. P. : Certainement.
L’écologie est portée par une démarche beaucoup plus intuitive que déductive et
mécaniste. Je pense que nous avons désormais une biologie de pauvres, linéaire,
non régulée, n’intégrant même pas l’idée de feed-back et tout ce que nous a
apporté la cybernétique. Or, la vie n’est pas linéaire. Elle est dialectique,
ying-yang, avec des boucles de retroaction et de régulation, enfin tout, sauf
linéaire. Et puis, il y a un grand mystère écologique en biologie, c’est la
biodiversité, dont tout le monde sait aujourd’hui qu’elle nous est vitale et
que le réchauffement climatique la détruit. Or, paradoxe confondant, on
n’enseigne plus les plantes et les animaux dans les universités. Plus on parle
de biodiversité, moins il y a de gens capables de reconnaître les plantes et
les animaux qu’il faut protéger. Il y a là une incroyable contradiction.
Tous les jours, des
jeunes me demandent pourtant par email où ils pourraient apprendre la botanique
ou l’entomologie. Ces gosses pourraient aller travailler partout où des espèces
sont menacées (par exemple par notre nouvelle ligne de TVG Paris-Strasbourg) et
chercher comment faire pour les protéger, en aménageant des niches écologiques
conformes à leur mode de vie. Mais non. Rien. Personne. Tout le monde travaille
exclusivement sur le gène. Et moi, le « tout gène » me gêne !
Parce que la biologie, ce n’est pas ça. C’est plein d’autres choses, que l’on
va découvrir.
N.C. : Quand vous dites que
la biologie moléculaire n’a pas fait sa « révolution copernicienne »,
qui serait d’intégrer la physique quantique, qui est « en amont »
d’elle (dans la classification des sciences selon Auguste Comte), faites-vous
allusion, aussi, à la manière que nous avons de cultiver la terre, suivant la
méthode du baron von Liebig, père de l’industrie des engrais, qui croyait qu’il
fallait mécaniquement restituer à la terre, au gramme près, les éléments
chimiques que les plantes y avaient pompés ?
J-M. P. : Bien sûr. Cette
biologie a généré d’énormes industries. Le phénomène Liebig est tout à fait
d’actualité avec nos questionnements sur l’agriculture. Mais il faut se
souvenir qu’à la fin de sa vie, von Liebig était un peu comme Darwin, mais en
beaucoup plus radical. Il a carrément dit : « Je me suis trompé. La
nature a les moyens d’assurer les productions nutritives dont les plantes ont
besoin, sans qu’il soit nécessaire d’y rajouter des tonnes d’éléments
extérieurs. » On l’ignore totalement : le baron Justus von Liebig
s’est rétracté ! Or toute l’énorme industrie agrochimique mondiale est
basée sur ses travaux !
N.C. : Passons à une autre
loi du vivant : iriez-vous jusqu’à dire que « l’amour » est ce
qui fait avancer le monde ?
J-M. P. : On sort ici du
discours scientifique, pour entrer dans celui des convictions. Cela dit, même
si l’on reste dans le domaine strictement scientifique, prenez le monde
atomique ou sub-atomique. Il y a l’attraction l’une vers l’autre de trois
particules élémentaires, les quarks, qui s’attirent et s’associent pour donner
des protons, des neutrons, des électrons. Ensuite, ceux-ci s’attirent et
s’associent pour donner les atomes. Ensuite les atomes s’attirent et s’associent
pour donner des molécules. Ensuite, les molécules se combinent entre elles
jusqu’à donner les molécules géantes de la reproduction. On a ensuite les
éléments qui s’associent et s’auto-organisent, pour donner des cellules.
Lesquelles cellules s’auto-organisent pour donner les tissus, lesquels
s’auto-organisent pour donner des organes. Les organes donnent l’organisme, et
les organismes s’attirent et s’associent, pour donner une société. Autrement
dit, il y a tout le temps un mouvement d’attirance l’un vers l’autre. C’est
incontestable. Si l’on ramène la longue histoire de l’évolution au plus simple,
c’est ce qui s’est passé. Il y a une loi de coalescence d’identités, qui vont
vers du plus complexe. Là, on retrouve l’idée de Teilhard de Chardin de la montée
en complexité conscience, qui passe par le seuil de la vie et par le seuil de
l’esprit. Plus ça devient complexe, plus apparaissent des propriétés
émergentes. Ça n’est pas seulement un enseignement de la science globale. C’est
un enseignement que, moi, j’ai vérifié dans mon activité professionnelle, en
associant des molécules, et en faisant apparaître à un certain niveau de
complexité, des propriétés thérapeutiques émergentes. Vous prenez des molécules
qui n’ont aucun effet, vous les mettez ensemble, vous les injectez à des
animaux, elles produisent un effet thérapeutique. Seules, aux mêmes doses,
elles n’en produisaient pas. C’est ainsi que l’évolution s’est déroulée. C’est
une chose que j’ai maintes fois vérifiée, de manière pratique. C’est une loi essentielle
de la vie et de la constitution des formes nouvelles. La sélection naturelle de
Darwin intervient ensuite, éliminant les associations non-viables. Mais avant
que la sélection ne frappe, il a bien fallu qu’un mécanisme engendre des formes
nouvelles ! La mécanique de la construction est antérieure à la mécanique
de l’élimination. Il faut un spermatozoïde et un ovule pour donner un bonhomme,
un animal ou une plante. Au niveau humain, on appelle ça l’amour. Je crois à
ça, vraiment. En réalité, la révolution dont nous parlons concerne
l’ensemble du regard que nous portons sur le monde. Dans la mesure où l’homme
est fini, il ne peut pas atteindre l’infini. C’est impossible. Jeune, je
pensais que même Dieu, un jour, serait démontré par la science ! Qu’il
arriverait un jour où, je ne sais trop comment, on finirait par tomber dessus,
pan ! sous le microscope ! Je ne me dis plus ça, aujourd’hui. J’ai
évolué. L’infini, le divin, si l’on est croyant, s’atteint mieux par la
mystique que par la science. C’est d’ailleurs la définition même de la mystique
dans les dictionnaires : l’union à Dieu. Par la démarche mystique, on peut
avoir des intuitions très fortes. Je prends le
mot « intuition », parce que si je prenais un mot plus précis et
plus fort, ça pourrait prétendre que j’ai atteint le divin (rire). On ne
l’atteint pas non plus par la mystique, mais on l’approche de plus près... Bien
sûr, je sais que cette approche sent le soufre, dans la société actuelle. Mais
mon expérience personnelle me permet de dire ces choses-là, parce que j’en ai
traversé quelques-unes. La science peut permettre d’approcher le divin par la
contemplation et l’émerveillement de la façon dont le monde est goupillé. C’est
vrai que l’ADN est une belle machine, qui fonctionne d’une manière surprenante !
Mais selon moi, ce n’est pas par cette voie qu’on peut aller vers l’infini. La
voie mystique me semble plus sûre, si l’on veut toucher à la non-finitude.
Disons : si on veut la lécher, comme les vagues lèchent le continent. Il
ne faut pas s’imaginer qu’on peut se mettre l’infini dans la poche. On peut
juste l’effleurer.
N.C. : Personnellement,
j’ai du mal à comprendre que l’on soit scientifique et athée. Agnostique, oui.
C’est même, d’une certaine façon, indispensable. Mais le spectacle de l’univers
est tellement fantastique qu’affirmer savoir qu’il n’a aucun sens me paraît
infantile..
J-M. P. : C’est parce que nous
ne sommes plus dans un monde de savants, mais dans un monde de techniciens. On
a beau évoquer les innombrables associations qui enseignent la nature aux
enfants et qui protègent la nature, ce n’est plus le cœur de notre société. Le
cœur de notre société, c’est la technique, les engins. Les jeunes vivent de ça.
Ils sont totalement instrumentalisés par un pouvoir économique qui en tire le
plus grand profit et les rend hermétiques à ce qui n’est pas techno.
Enlevez-leur les portables, les MP3, les play-stations, les casques sur les
oreilles... vous allez voir une dépression effroyable s’abattre sur la
jeunesse. Le lien à la nature est beaucoup, beaucoup plus lointain. On ne
pourrait plus se passer de la technique. On ne se pose pas la question de
savoir si on pourrait se passer de la nature : elle n’est plus là.
Evidemment, si elle disparaissait réellement, nous serions morts. Mais nos enfants
ne le ressentent pas. Il se trouve que moi, j’ai été élevé dans une ferme de
l’Auvergne profonde, pendant la guerre, totalement immergé dans la nature. Cela
m’a donné un sentiment d’équilibre profond. Ce furent, de loin, les années les
plus heureuses de mon existence. Quand je gardais les vaches, quand j’allais
glaner pour les poules... L’idée qu’il m’en reste tient en deux mots :
« équilibre joyeux ». Je ne suis pas étonné que certaines personnes
se sortent de la dépression en jardinant. Le lien à la nature est un lien qui
construit la psyché humaine. C’est un lien très fort, sans doute parce que
notre corps, c’est aussi la nature. Mais nous en avons complètement perdu le
sentiment. Beaucoup de mal-être tient à cette perte. C’est quelque chose qu’il faut
redécouvrir d’urgence, si nous ne voulons pas aller dans le mur. C’est dans ce
lien-là qu’on découvre le lien supérieur, avec la totalité, en agnostique ou en
croyant, peu importe.